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Vêtement

L’uniforme, ce premier entour du corps militaire

Avant l’arme, c’est l’uniforme qui constitue le premier élément matériel avec lequel le jeune soldat entre en contact lors de son arrivée sous les drapeaux. À la nudité première imposée à la recrue lors des opérations de sélection physique qui précèdent l’incorporation – en France le dénudement devant des membres du conseil de révision, revêtus quant à eux d’un uniforme (gendarmes, médecin militaire, intendant), reste intégral pendant tout le xixe siècle et forme une des dimensions, hautement dévirilisante, de cette première épreuve initiatique5 – succède la remise au magasin d’habillement des vêtements civils en échange des effets militaires, vêtements, chaussures et coiffure, première étape vers la transformation de la recrue en soldat.

Cette nouvelle enveloppe corporelle, l’historien peut en décrire la nature et ses transformations grâce à l’uniformologie, cette spécialité, apanage des collectionneurs, que le chercheur en sciences sociales tend encore à considérer avec condescendance, alors qu’elle constitue une base indispensable à toute réflexion plus large. Il peut aussi se tourner, notamment à partir de la seconde moitié du xviiie siècle, vers les descriptions laissées par les médecins qui firent de l’habillement une des catégories à part entière de l’hygiène militaire. Nous privilégierons dans un premier temps ces textes qui, ordonnés par une logique médicale soucieuse de bien-être et de fonctionnalité, révèlent souvent, en creux, la présence d’autres systèmes de représentations, ceux des soldats et des combattants, qui obéissent à une rationalité différente dont l’uniforme constitue un révélateur.

Pour les médecins, la question de l’uniforme comporte deux dimensions, celle du visible et celle de l’invisible, qui se répondent l’une l’autre, tant elles semblent investies, à leurs yeux, d’usages antithétiques. L’invisible, c’est avant tout le linge de corps qui, en France au début de la Restauration, se résume à trois chemises, à deux paires de bas, à trois paires de guêtres pour retenir un pantalon qui descend jusqu’aux malléoles et à deux mouchoirs. Cette première strate, les médecins, amenés lors des visites médicales et des soins portés aux soldats à l’approcher de plus près, en dénoncent pendant tout le siècle la malpropreté, tout en s’efforçant d’inculquer aux hommes de nouvelles pratiques d’hygiène qui rencontrent des résistances, riches de sens pour notre sujet. Du côté des progrès, il faut ranger avant la guerre de 1870-1871 l’ajout parmi les effets réglementaires du caleçon permettant d’isoler du pantalon la partie médiane du corps, notamment les organes génitaux, ainsi que le port, venu de l’armée coloniale prescriptrice dans le domaine vestimentaire, de la ceinture de flanelle servant à maintenir l’abdomen, particulièrement en campagne. Après ce conflit, les améliorations apportées au linge de corps dans l’armée française sont minimes : on peut citer l’octroi de deux serviettes de toilette, qui évitent désormais aux hommes de s’essuyer avec leurs draps. Mais les chaussettes, réclamées de longue date pour protéger les pieds du froid et des excoriations alors qu’elles sont réglementaires dès la fin du xixe siècle dans l’armée allemande ou dans l’armée britannique, sont toujours absentes du paquetage du soldat français en 1914.

Les rapports des hommes avec ce qui recouvre leur peau tout en demeurant invisible à l’œil nu demeurent empreints, selon les médecins, d’une négligence condamnable. Négligence des soldats eux-mêmes, qui, en garnison, se contentent volontiers du blanchissage hebdomadaire effectué moyennant une retenue sur leur solde, alors que la qualité de celui-ci laisserait grandement à désirer. Encore ce blanchissage ne concerne-t-il que les effets réglementaires et non ceux dont le soldat se dote à titre personnel, pour mieux se protéger du froid notamment. Ainsi du tricot et du gilet de flanelle d’un usage répandu au cours du xixe siècle, mais dont l’entretien, laissé au bon vouloir des soldats, demeure de ce fait très aléatoire selon le docteur Alphonse Laveran. L’introduction progressive de l’usage des bains chauds dans les casernes françaises à partir de 1879 contribue probablement, en raréfiant la crasse, à améliorer la propreté du linge de corps en temps de paix. Mais elle ne révolutionne pas une situation fondée sur une longue insouciance à l’égard de l’hygiène corporelle. Celle-ci s’inscrit à la croisée des usages civils, distants à l’égard des nouvelles normes de salubrité, notamment dans les milieux populaires dont sont issus beaucoup de soldats, et des usages militaires qui, nous le verrons, privilégient avec insistance, au grand dam des médecins, l’apparence immaculée d’un uniforme porté, et plus encore, offert au regard de l’autre.

Non que le corps médical ne dispose d’aucune influence sur son évolution au cours du xixe siècle. Toutefois, les principales transformations de l’apparence dans les armées européennes de ce temps sont tributaires des évolutions de l’activité de combat qui rejoignent parfois les préoccupations des hygiénistes, sans que jamais celles-ci l’emportent sur celles-là, ou seulement de manière marginale. Au premier rang de ces évolutions figure l’exigence de mobilité du combattant, accrue à partir des années 1840 en Europe avec l’augmentation de la puissance de feu de l’infanterie et de l’artillerie qui modifie les pratiques corporelles. Elles contraignent à un éparpillement sur le champ de bataille, entravé par certaines parties de l’uniforme qui recouvrent toujours le corps combattant pendant la première moitié du xixe siècle. L’infanterie française, par exemple, conserve jusqu’au début des années 1840 l’habit-veste hérité de l’ancien habit à revers porté par toutes les troupes, à l’exception de l’artillerie, à la fin de l’Ancien Régime. Fermé sur toute sa longueur par une rangée de boutons, plaqué sur le tronc par le baudrier du sabre ou les banderoles des gibernes, suffisamment long pour entraver le soldat dans la manœuvre du tir couché ou à genoux, il était en outre resserré, dans sa partie supérieure, par un col haut et dur susceptible d’engendrer des congestions létales. En garnison, un soldat expérimenté savait qu’un jour de revue il devait relâcher son col jusqu’à l’arrivée de l’inspecteur, faute de quoi il s’exposait, comme les recrues qui endossent la grande tenue pour la première fois, à tomber sans connaissance au milieu de ses camarades. En 1843, l’abandon de l’habit pour la tunique longue à une seule rangée de boutons, d’abord à titre expérimental en Afrique, l’adoption du ceinturon et la disparition du col rigide au profit d’une cravate souple de coton bleu à la fin des années 1860, contribuent à libérer quelque peu la partie haute d’un corps dont la verticalité était encore accrue par la coiffure. Le shako, cône de feutre avec un fond évasé dont la hauteur permettait à un fantassin de la Restauration d’y placer toutes sortes de menus objets (portefeuille, pipe, tabac, briquet, mouchoir, couteau, cuiller et fourchette) gardés ainsi à portée de main, est légèrement réduit en poids comme en taille au cours des années suivantes. Mais il atteint encore une dizaine de centimètres et 500 grammes avec coiffe et pompon au début des années 187016, avant d’être remplacé par le képi en 1873. Les membres inférieurs du fantassin, couverts à partir de 1812 du pantalon, sont eux aussi plus libres qu’ils ne l’étaient avec la culotte retenue par des guêtres portées jusqu’au genou. Néanmoins, pendant les deux premiers tiers du xixe siècle, notamment en France, la silhouette du soldat reste étroitement façonnée, redressée par une armature de tissu à valeur disciplinaire et coercitive. Dans les autres armes, il en va de même, par exemple dans la cavalerie où le haut du corps, sanglé dans une tunique ou dans un veston plus court, le dolman, dans l’artillerie, le train des équipages et la cavalerie légère, dessine étroitement la taille. Quant aux membres inférieurs, ils sont recouverts d’un pantalon, basané entièrement doublé de cuir jusqu’au bassin, et de bottes. Amélioration saluée par les médecins, la hauteur de la doublure de cuir est toutefois limitée au genou au début des années 1870, au moins dans la cavalerie française. La stature est encore rehaussée par une coiffe qui protège contre le choc des armes – un casque en acier pour les cuirassiers, en cuivre pour les dragons – mais qui, prolongée par un cimier très haut, confère surtout au cavalier une allure imposante. L’allongement de la silhouette construit un corps susceptible d’impressionner l’adversaire lors d’un affrontement qui, jusqu’aux années 1860, met encore en présence, sinon en contact, les combattants.

Jusqu’à la Première Guerre mondiale, une priorité supplémentaire, celle de l’invisibilité, structure les principaux débats sur ce paraître, et, dans une certaine mesure, ses évolutions concrètes. Comme le souhaitait le médecin Georges Morache au début des années 1870, le véritable uniforme du soldat devra, sans être encombrant, le protéger des intempéries, mais aussi « de par sa nuance le rendre moins apparent aux coups de l’ennemi ». Vœu qui se heurte alors au primat des étoffes de couleur voyante héritées d’un temps où il convenait d’être aisément repérable sur le champ de bataille, et non l’inverse. En France, l’infanterie est revêtue de l’habit bleu foncé depuis 1793, puis du pantalon garance à partir de 1829. Au Royaume-Uni, le bleu et le rouge sont les couleurs dominantes, un rouge écarlate très voyant pour la tunique, tandis que le blanc et le bleu clair l’emportent en Autriche, le vert et le gris en Prusse et en Russie.

Les recommandations de Morache s’appuient sur des travaux scientifiques menés dès la fin du xviiie siècle au Royaume-Uni sur la puissance absorbante des principales couleurs exposées aux rayons du soleil. Elles sont prolongées en France par Paul-Jean Coulier qui, en 1858, met en relation couleur et nature de l’étoffe, les tissus de coton clair s’avérant plus efficaces contre l’échauffement produit par les rayons solaires et donc plus adaptés aux pays chauds, alors que le drap de couleur foncé est plus adéquat pour les climats froids ou tempérés. La diffusion des armes à longue portée donne à cette question une importance accrue au cours des années 1860. En France, les expériences menées par le médecin-inspecteur Trifaud, par Jules Gérard ou par l’armurier Devismes permettent un peu avant la guerre de 1870 d’établir des mesures précises de la visibilité des différentes couleurs en fonction de la distance et établissent une échelle de dangerosité partant du gris et du brun pour les couleurs les moins voyantes, en passant par le bleu foncé, le rouge et le blanc. Pour autant, ces résultats, diffusés dans les milieux scientifiques européens, ne provoquent pas partout les mêmes réactions. Avant 1870, les troupes autrichiennes, allemandes, espagnoles et italiennes abandonnent la plupart des couleurs voyantes, sauf dans la cavalerie légère qui demeure un temple des traditions. Après cette date, c’est l’armée allemande qui se conforme le plus scrupuleusement aux nouvelles injonctions. À la veille de la Première Guerre mondiale, des couleurs neutres (le vert-brun pour les chasseurs et les tirailleurs et le gris-brun pour les autres armes), des étoffes de même nature pour la tunique, le col, les garnitures et les épaulettes sont adoptées qui forment l’interprétation la plus minimaliste de ce temps. En revanche, les armées française et britannique résistent davantage au changement, même lorsque l’usage à la fin du xixe siècle des poudres sans fumée confère à l’invisibilité un surcroît d’urgence. En France, les critiques des médecins à l’encontre du pantalon rouge, de la tunique bleue ciel des chasseurs et des hussards, des collets de couleur vive, du képi rouge du fantassin, du couvre-nuque blanc adopté dans les pays chauds ou des nombreuses pièces métalliques des uniformes demeurent lettre morte et en Angleterre, la tunique écarlate qui, ironise Laveran, « donne une très belle note sur les gazons de Hyde-Park, mais qui aurait des inconvénients sérieux en temps de guerre » reste indéracinable, même si l’uniforme kaki est adopté en campagne. Interpréter, comme le font les médecins, ces permanences comme des survivances, établir un partage de ces pratiques vestimentaires entre archaïsme et modernité, deux catégories étrangères au monde dans lequel et pour lequel elles ont été créées, risquerait de conduire l’historien au contresens. Mieux vaut, selon nous, adopter une démarche compréhensive et restituer au vêtement son pouvoir heuristique. Au xixe siècle, l’adéquation entre l’être et le paraître demeure essentielle et l’habit signifie beaucoup de celui qui le porte. Dans la société militaire, laboratoire des modèles de la masculinité, l’uniforme, sa composition, son port et son entretien révèlent non seulement un statut et une fonction, mais aussi une identité masculine construite et exhibée.

Source : journals openedition

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