L’historien Georges Vigarello raconte les péripéties de ce vêtement dont l’évolution conte d’abord la représentation de la femme dans la société et sa longue libération
La femme a longtemps été contrainte à la beauté immobile, dans des drapés aux coupes régies par les lois. C’est par l’étoffe et un ouvrage très illustré de peintures, gravures et photographies historiques – La Robe. Une histoire culturelle. Du Moyen Age à aujourd’hui (Seuil) – que Georges Vigarello nous le rappelle. Car la robe «épouse une vision du monde». Et le monde fut longtemps dominé par les hommes.La femme a longtemps été contrainte à la beauté immobile, dans des drapés aux coupes régies par les lois. C’est par l’étoffe et un ouvrage très illustré de peintures, gravures et photographies historiques – La Robe. Une histoire culturelle. Du Moyen Age à aujourd’hui (Seuil) – que Georges Vigarello nous le rappelle. Car la robe «épouse une vision du monde». Et le monde fut longtemps dominé par les hommes.
Durant des siècles, la silhouette féminine est ainsi coupée en deux, sa taille soulignée par des laçages et armatures austères destinés à «installer le haut du corps sur un piédestal», les jambes cachées dans des tissus volumineux gênant le moindre déplacement. Au fil des siècles, l’allure des femmes est un moyen de contrôle. Et quand le premier laçage du buste féminin apparaît, au milieu du XIIIe siècle, alors que la robe constituait jusque-là un ensemble informe, on juge la composition licencieuse: un règlement de 1298 n’autorisant cette «frivolité» qu’aux femmes mariées.
Mais la taille marquée se développe vite, en même temps que la bourgeoisie urbaine, friande de mode. Le vêtement masculin évolue en parallèle, pour dévoiler toujours plus les jambes et «souligner la liberté».
Corps «taillé»
C’est là «un enjeu de culture», écrit Georges Vigarelllo. L’habit court masculin opposé à l’habit long féminin, l’insensible différence entre l’homme confronté au travail, et la femme confrontée au décor, les unes vers l’esthétique, les autres vers la fonctionnalité.»
Le corsage féminin se rigidifie lentement, structure «implacable» qui l’oriente vers une «anatomie artificielle» et redresse ou dresse les femmes, c’est selon. Le chirurgien Ambroise Paré raconte l’autopsie d’une dame de cour, «qui pour vouloir montrer avoir le corps beau et grêle se faisait serrer de sorte que je trouvai les fausses cotes chevauchant les unes par-dessus les autres qui faisaient que son estomac étant pressé ne pouvait s’étendre pour contenir la viande, et après avoir mangé et bu, était contrainte de le rejeter, et le corps n’étant nourri devint maigre.»
Et pourtant, le corps des demoiselles est «taillé» dès le plus jeune âge. En 1695, l’Abbé de Choisy décrit cette préadolescente: «Sa taille à 12 ans était déjà formée. Il est vrai qu’on l’avait un peu contrainte dès l’enfance avec des corps de fer pour lui faire venir des hanches et de lui faire remonter la gorge. Tout avait réussi.» Mais l’arrivée des Lumières et l’invention des sciences naturelles insufflent un désir d’autonomie et l’attrait pour la «morphologie». On dénonce enfin «le gémissement de corps emprisonnés» et des robes boursoufflées comme de «grosses cloches de cathédrale».
Silhouette révolutionnaire
Le développement des voyages et des importations apportent le «made in England» et son «goût pour la campagne, le plein air, la simplicité», qui assouplit le vêtement féminin jusqu’aux «déshabillés galants» qu’aime porter Marie-Antoinette au Petit Trianon, loin des artifices de corps et de cour. Les femmes sont même autorisées à la mobilité avec les promenades de santé, mais toujours dans des «robes à paniers d’où émerge à peine le pied». Néanmoins, souligne l’historien, «l’homme demeure celui des initiatives, la femme celle du «repli». Aucune participation à la vie publique, sinon pour focaliser le «paraître».
Source: le temps